Comprendre la crise des Rohingya [FR]

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Monzer Monzer
PUBLIC RELATIONS AND COMMUNICATION OFFICER

Depuis près de soixante ans, la Birmanie doit faire face à des actes barbares, génocidaires. Pays longtemps fermé au monde, peu d’informations circulaient. Aujourd’hui, la Birmanie s’est ouverte et a placé à sa tête une femme prix Nobel de la Paix. On pouvait espérer qu’elle allait apaiser les tensions… Comme il n’en est rien, tentons de comprendre cette crise humanitaire, politique et religieuse…

 

Ils étaient plus d’un million à vivre dans le nord-ouest de la Birmanie, plus exactement dans l’état d’Arakan (actuel Rakhine). Aujourd’hui des milliers d’entre eux, près de 400.000, tentent de fuir pour trouver refuge chez leurs voisins au Bangladesh, d’autres ont été massacré. Ils ? Eux ? Mais qui donc ? Les Rohingya… Mais où ? En Birmanie ou plutôt au Myanmar.

Le Myanmar ce sont 52 millions d’habitants dont 90% sont de religion bouddhistes, la seule religion reconnue et strictement défendue par le gouvernement, tout comme le principe de la nationalité et seuls 135 ethnies sont reconnues, depuis 1982 par la junte militaire d’alors, comme « véritables Birmans » présents sur le territoire antérieurement à l’arrivée des colons britanniques en 1823.

Mais alors, qui sont les Rohingya ?

Selon certains historiens, les Rohingya sont issus de soldats et de commerçants Arabes, Mongols, Turcs et Bengalis convertis au Sunnisme au XVème siècle. Pour les historiens Birmans, les Rohingya ne seraient connus en Birmanie que depuis 1950 et ils seraient la conséquence de la colonisation britannique qui les ont « importés » à partir de 1826 en provenance du Bengale voisin pour venir « casser » la dynamique bouddhique de l’état d’Arakan. A l’époque et sous l’impulsion anglaise, ils ont été de plus en plus nombreux à venir cultiver les terres et s’installer dans l’état d’Arakan. Nombreux, au point de venir bouleverser l’équilibre démographique régional, porteurs d’inévitables tensions intracommunautaires.

Il faut dire qu’entre 1890 et 1911, les populations Bengalie Musulmane (les « Mahométans de Chittagong »comme on disait alors) ont augmenté de 77% ! Et les tensions, dès ce moment, ne cesseront d’aller crescendo.

Lors de la Seconde Guerre Mondiale, quand le Japon a envahi la Birmanie, les Birmans comptaient doublement sur les soldats Nippons pour se débarrasser, un des Anglais, deux des Bengalis Musulmans. Mais les rusés Anglais ont levé et armé des milices de Bengalis Musulmans pour lutter contre les Japonais. Malheureusement pour nos amis Britanniques, les « volontaires Musulmans » préféraient souvent attaquer les villages bouddhistes qu’affronter la soldatesque nippone… Ce qui ne fit qu’ajouter du ressentiment contre eux.

En 1948, lors de l’indépendance de la Birmanie, les tensions interethniques montent encore d’un cran. Les Bengalis Musulmans réclament la création « d’un état libre, musulman sur un pied d’égalité semblable aux autres états de l’Union Birmane ». Cette exigence s’appuie sur l’exemple voisin du Pakistan oriental qui deviendra le Bangladesh en 1971. Et, pour appuyer plus fortement cette exigence, un mouvement « Moudjahidine de l’Arakan » se forme sous la houlette d’un chanteur très populaire, Jaffar Kawwal.

C’est aussi à cette période que ces « Moudjahidine de l’Arakan » commencent à se faire connaître sous l’appellation de « Rohingya ». Pour les Birmans, ils ne sont que des « Bengalis exilés » tandis que pour les militants de la cause, ces derniers forment une « ethnie » d’origine bengalie mais aussi arabe, persane, turque, mongole…

Depuis les années 1960 (ce conflit intercommunautaire n’est donc franchement pas nouveau) des actes de guérilla rendent la zone frontière très sensible. Certains groupes revendiquent une sécularisation des droits Musulmans alors que d’autres souhaitent renforcer l’Islam politique. Cette différenciation est d’autant plus importante que les guérilleros Rohingya entrent en concurrence les uns contre les autres et ces rivalités internes ne font qu’empirer la situation.

Si le Bangladesh sert souvent de base arrière, la Rohingya Solidartity Association fut durant longtemps une faction importante et active en s’appuyant sur les mouvements islamiste bangladais. Aujourd’hui il faut compter sur l’Armée du Salut des Rohingya de l’Arakan. Bien que très nébuleuse, elle semblerait être téléguidée par des Rohingya exilés en Arabie Saoudite et au Pakistan et dont les porte-parole assurent ne pas avoir d’arrière-pensées djihadistes.

Conference 

Apatrides depuis 1982 et persécutés…

Au lendemain de l’indépendance, est instauré un régime démocratique parlementaire. Mais en 1962, un coup d’état militaire porte au pouvoir le général Ne Win qui va diriger le pays durant 26 ans d’une main de fer en introduisant des réformes socialistes brutales. Il sera évincé en 1988 par un autre coup d’état militaire. Mais en 1982, le général Ne Win décide de revoir les conditions d’accès à la nationalité birmane et entend ne considérer comme Birman que les habitants originels d’avant 1823, date d’arrivée des colons anglais.

Malheureusement pour eux, les « Rohingya » sont exclus du répertoire des 135 ethnies formant la Birmanie originelle.

Et les conséquences sont immédiates. Sans reconnaissance, les Rohingya ne disposent plus de papiers d’identité, de passeports. « Ils ne peuvent pas voyager sans autorisation, ni travailler en dehors de leurs villages, ni même se marier sans l’autorisation préalable des autorités ([1])». Pour éviter un nouveau du déséquilibre démographique (ou son accentuation), la loi de 1982 restreint le nombre d’enfants par couple marié. Les conséquences de cette loi : des milliers d’enfants naissent sans possibilité d’être déclarés et ne peuvent donc avoir accès à aucun service de base.

La loi de 1982 interdisant la citoyenneté au Rohingya les prive aussi de leurs droits de vote et de représentation.

Bien malheureusement, la seule réponse apportée sur le terrain est la violence pour tenter de se faire entendre, d’exister. Et depuis 1982, ce cycle de la violence ne fait qu’empirer – souvent de façon sporadique mais continuellement et ces dernières années on a assisté à une escalade dans les représailles de la part des forces gouvernementales qui sont non seulement disproportionnées mais toujours plus injustement dirigées vers les « civils », femmes, enfants et vieillards qui doivent fuir précipitamment et dans de terribles conditions. Les villages, vidés de leurs habitants sont brûlés, les colonnes de réfugiés mitraillées, les traînards exécutés sommairement et hors de la justice, les pillages, les viols et les déplacements de populations forcés sont devenus monnaie courante.

Bref, tous les éléments d’une épuration ethnique et religieuse dont sont victimes les Rohingya (mais pas qu’eux : les catholiques, les protestants, les hindouistes doivent aussi faire face à ce genre de situation). A la violence des guérilleros Rohingya, répondent les violences des militaires et des policiers birmans qui entraînent une escalade rarement médiatisée en Occident.

 

2012, 2014, 2015, 2016… 2017… toujours les mêmes scénarios

Des guérilleros Rohingya attaquent des postes de police ou de gardes-frontières, tuent des policiers ou de militaires, ou bien attaquent une communauté non musulmane… La réponse vient presque immédiatement, sans se faire attendre et selon un scénario bien rodé : les forces gouvernementales répliquent, de façon disproportionnée, brutale voire génocidaire et vident les villages en quelques minutes de leurs habitants qui courent sur les routes, les chemins, les layons de l’exil. Des milliers d’êtres humains cherchent refuge vers le Bangladesh… 2012 a fait 120.000 déplacés, 2014 et 2015 ont fait fuir 94.000 personnes sur des embarcations de fortune… 2016 ce sont près de 74.000 Rohingya qui ont fui leurs villages…

Le 25 août 2017 les rebelles Rohingya attaquent douze postes frontières et tuent une douzaine de policiers. La réponse est abrupte, encore plus forte que « d’habitude »… Officiellement on dénombre 400 morts du côté des Rohingya - mais les Nations Unies estiment le nombre à près de 1.000 - et 379.000 Rohingya prennent le chemin de l’exil, dont 60% d’enfants ([2]) trouvent refuge au Bangladesh.

 

 

Une crise qui dure … et perdure !

Cette crise dure depuis… près de 60 ans ! Qui s’en émoi ? L’ONU ? Le Conseil des Droits de l’Homme ? Régulièrement, mais trop souvent lors d’une poussée plus aigüe tous tirent la sonnette d’alarme. Il y a bien eu des sanctions mais qui ne concernaient que l’armement…

A Genève, lors des différents Conseil des Droits de l’Homme la question reste récurrente et lors de chaque session il est organisé un ou deux évènements parallèles à propos du sort réservé aux Rohingya.

Pourtant il y a eu de l’espoir ! D’abord quand Mme Aung San Suu Kyi a reçu le prix Nobel de la Paix, puis quand après avoir gagné les élections elle a été nommée au gouvernement en avril 2015… Mais en vain !

Elle a pourtant promis de s’intéresser aux droits des Rohingya mais à vrai dire, elle reste prisonnière des forces armées extrêmement puissantes et autonomes du pouvoir. En même temps, elle doit faire face à une poussée de l’extrémisme religieux bouddhiste, dont les partisans l’ont majoritairement portée au pouvoir.

Il est indéniable que notre vision occidentale et européenne du bouddhisme ne correspond pas à cette réalité de terrain où les jeunes bonzes circulent avec une kalachnikov en bandoulière et s’autorisent à assassiner, en toute liberté, des hommes, des femmes et des enfants qui ne sont pas de leur religion !

On s’éloigne des clichés et de la zénitude…

 

  • A l’Union Européenne de mobiliser toutes ses forces persuasives auprès des autorités birmanes et en particulier Mme Aung San Suu Kyi pour appliquer un cessez le feu immédiat et pérenne.
  • Au Nations Unies, au Conseil de Sécurité et au Conseil des Droits de l’Homme de voter une résolution condamnant fermement ces violences et en les accompagnants de sanctions économiques efficaces mais proportionnées afin que le gouvernement soit obligé de trouver une solution.
  • A Madame Aung San Suu Kyi, conseillère spéciale de l’État, porte-parole du gouvernement et prix Nobel de la Paix de tout mettre en œuvre pour établir un dialogue constructif et efficient pour rétablir la paix dans cette région du Myanmar, y compris en remettant en cause certaines disposition de la loi de 1982.
  • Aux Rohingya, à leurs amis, soutiens et alliés, d’entendre la voix de la sagesse et accepter une vraie trêve pour sauver du massacre et de la fuite des milliers de leurs compatriotes car en agissant autrement ils continuent à faire le jeu des militaires, des policiers et donc, du gouvernement.